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J’ai tourné sur moi-même comme une toupie, complètement affolée. Où pouvait-il bien être ? J’ai fini par repérer son arrière-train : il avait traversé la rue et caracolait de toute la vitesse de ses quatre mains vers le sapin géant illuminé qui, planté près du plan d’eau du jardin public voisin, dominait tous les autres arbres. J’ai couru à sa poursuite, et quand je suis arrivée au pied du sapin, mon frère s’était déjà réfugié dans ses branches. Je l’ai vu qui grimpait, grimpait, encore et toujours plus haut.

– Arrête de faire le singe et redescends tout de suite ! ai-je hurlé.

Quand mon frère a atteint le sommet du sapin, il s’est retourné et m’a contemplée de ses yeux globuleux en se balançant mollement à la branche, le vent faisant gonfler un pyjama bien trop grand pour lui, puis s’est mis à entonner pour qui voulait bien l’entendre :

ALLONS Z-ENFAAANTS DE LA PATRIII–I-EUH, LE JOUR DE GLOIR’ EEEST T-ARRIVÉ !

La neige continuait de tomber sur la ville, et les haut-parleurs diffusaient à présent Douce Nuit, Sainte Nuit. La guirlande électrique du sapin scintillait de mille feux, sa lumière réfléchissant sur le plan d’eau comme un collier de diamants. Dire que cela aurait pu être un jour parfait... La clocharde m’a rejointe et s’est arrêtée à mes côtés. Les mains sur les hanches, elle a levé la tête. Elle avait l’air de trouver la scène à son goût.

– V’la un ange de Noël original, a-t-elle fini par dire.

Bing ! Un premier projectile a eu le temps de s’abattre sur ma tête, puis un deuxième, avant que je réalise que Barnabé était à présent en train de me bombarder avec des pommes de pin. Il visait bien l’animal : chaque coup faisait mouche. J’ai fini par abandonner le champ de tir, courant lâchement me réfugier sous les branchages du sapin. La situation est rapidement devenue critique : chaque fois que je faisais mine de m’aventurer à découvert – vlan ! – je recevais un missile dans l’œil ou dans la cuisse. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Tenter de nouveau ma chance avec le coffret de magie ? C’était hors de question, j’avais au moins compris cela. Grimper moi-même dans l’arbre ? Je suis irrécupérable en gym. La crise de nerfs n’était pas loin. De désespoir, je me suis tournée vers la seule personne à ma disposition, c'est-à-dire vers la clocharde :

– Aidez-moi, madame, s’il vous plaît ! ai-je croassé.

La clocharde n’avait pas bougé d’un pouce. De toute évidence, les attaques à la pomme de pin, cela ne la concernait pas. Elle a pris le temps de rembourrer sa pipe avant de me lancer :

– Sers-toi de ta caboche, la baronne. Invente un truc énorme qui l’prendra au dépourvu.

Sur le coup, je n’ai rien compris à ce qu’elle me disait. De quel genre de truc énorme parlait-elle ? Je lui demandais de l’aide, et elle me répondait qu’il fallait que je me débrouille toute seule ! C’était quand même trop fort !

– Regarde autour de toi, a insisté la clocharde. Ne m’dis pas qu’tu n’vois rien !

Ben non justement, je ne voyais rien, elle commençait à m’énerver, celle-là ! Tout de même, je me suis forcée à faire un effort de concentration. Qu’est-ce qu’il y avait de si intéressant autour de moi ? Le plan d’eau, le sapin sous lequel j’étais réfugiée, son feuillage, et en haut du sapin, mon frère transformé en macaque qui n’attendait que le bon moment de me faire une bosse supplémentaire. Et c’était tout.

Mon frère transformé en macaque, l’arbre, le plan d’eau...

Surgie d’on ne sait où – je ne le savais pas à l’époque, je ne suis toujours pas sûre de le savoir maintenant – l’amorce d’une idée m’a soudain traversé l’esprit ; une inspiration lumineuse qui a pris corps et qui, petit à petit, a dissipé l’état de confusion dans lequel j’étais plongée. J’ai regardé de nouveau la clocharde et, dans la seconde qui a suivi, j’ai su ce qu’il fallait que je fasse.

J’ai écarté les branchages et je me suis exposée bravement à découvert, criant en direction de mon frère que j’apercevais en haut du sapin :

– Hé, tête de macaque ! Essaie de m’atteindre, si t’en es capable !

Barnabé m’a repérée, a armé son bras et m’a expédié une pomme de pin qui filait comme une fusée. J’ai eu juste le temps de me mettre à couvert. J’ai tourné autour du tronc, et j’ai recommencé plusieurs fois le même manège. Je m’exposais, je le narguais, mon frère tirait sans avertissement. Enfin – et l’inspiration lumineuse se situe exactement ici – je me suis tenue du côté du plan d’eau et, tout en restant cette fois-ci cachée, j’ai de nouveau provoqué mon frère. Barnabé a allongé le cou pour me repérer... et s’est retrouvé face à son propre reflet !

Moi, sous les feuillages, je n’apercevais rien. La suite, c’est la clocharde qui me l’a racontée : à la vue de ce singe grimaçant – et qui ne ressemblait en rien à sa cible favorite –, mon frère a eu un instant de stupeur. Puis il a armé son bras et, en dessous de lui, l’apparition a armé son bras. Mon frère a eu un nouvel instant d’hésitation. Il a renoncé à expédier son projectile, agitant plutôt lentement la main comme s’il saluait un défilé. Son reflet lui a docilement rendu son geste. Il s’est passé ensuite ce que j’espérais : mon frère a poussé un cri de terreur. J’avais parié que jusqu’à cet instant, il ignorait totalement qu’il avait été transformé en macaque, et c’était exactement le cas ! Ce que je n’avais pas prévu, c’est la réaction qui a suivi : il a reculé brutalement, sa tête a heurté le tronc derrière lui, et il est tombé comme une pierre à travers les branchages.

Barnabé a rebondi deux ou trois fois sur les branches avant de s’écraser au pied du sapin. Je me suis précipitée, et la clocharde m’a rejointe pour l’examiner.

– T’inquièt’ pas, la baronne, a-t-elle fini par dire. L’ feuillage a ralenti sa chute. Il est juste sonné.

Puis elle m’a raconté en détails ce qui venait de se passer. Je tremblais comme une feuille. Malgré le succès évident de mon petit numéro d’attrape-nigaud, je n’étais pas fière.

– Qu’est-ce que je dois faire, maintenant ? ai-je demandé, haletante.

La clocharde m’a dévisagée, toujours cette même étincelle pénétrante dans ses yeux vert émeraude :

– Ramasse ton frérot et va chercher ta boîte de magie.

Un peu abasourdie, j’ai obéi sans discuter. Sur le coup, je n’ai même pas songé à me poser cette question pourtant logique : comment la clocharde savait-elle que ce macaque mal embouché que je venais d’assommer était en réalité mon frère ?

– Ton impasse n’est pas très loin, a-t-elle ajouté. Je vais t’dire où elle se trouve. Tu l’as bien mérité, va.

(Suite sur PAGE 11)

 
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(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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