PAGE 13
Il est allé récupérer une grosse boîte rectangulaire sur l’une des étagères et l’a posée juste à côté de Barnabé. C’était un caisson ouvert sur le dessus et apparemment vide. Le cadre était en bois, mais les parois en papier fin, presque translucide. L’enchanteur a entamé une série de passes au-dessus de Barnabé, et après quelques instants, ce dernier, toujours inconscient, a commencé à s’élever dans les airs. L’homme a ensuite promené ses mains tout autour du corps, sans doute pour me montrer qu’il n’y avait aucun trucage, puis il a renouvelé ses passes et Barnabé a glissé silencieusement avant de s’immobiliser et de chuter lentement à l’intérieur du caisson. L’enchanteur a alors allumé une lanterne derrière lui. On voyait très nettement la silhouette de mon frère se découper à travers la paroi de papier. Il a tiré d’une petite bourse une poignée de poudre dorée qu’il a jetée dans le caisson et des étincelles ont jailli. Au même instant, la silhouette de mon frère dans la boîte s’est purement et simplement volatilisée ! L’homme, d’un geste, a libéré les quatre côtés du caisson qui se sont aussitôt abattus à plat, confirmant de façon éclatante la disparition de Barnabé.
J’ai bondi de mon fauteuil. Je devais être aussi blanche que la neige qui, derrière la vitrine, continuait de tomber à gros flocons.
– Ne t’inquiète pas a dit l’enchanteur. Je viens juste de renvoyer ton frère dans sa chambre. Il a retrouvé son aspect humain. Tu n’auras qu’à le réveiller lorsque tu rentreras, il ne se souviendra de rien. Tu vois cette boule de cristal sur l’étagère ? Va y jeter un coup d’œil.
Je me suis exécutée, le cœur encore battant, et j’ai vu dans la boule l’image paisible d’un Barnabé redevenu lui-même et ronflant sur son lit comme un bienheureux. J’ai senti une vague de soulagement me submerger, et du coup, j’ai failli sauter au cou du vieil homme. J’ai tendu la main vers mon sac à dos, bien décidée à ne pas m’attarder : j’aurais bien le temps, de retour dans le confort de mon foyer, de réfléchir en détails à toutes mes péripéties. Mais l’enchanteur ne l’a pas entendu de cette oreille :
– Pourquoi partir si vite ? Ton frère est en sécurité, et tes parents ne se doutent de rien. Reste encore un peu. Je n’en ai pas fini avec toi.
Pour être tout à fait honnête, je m’attendais à son offre. Je sentais bien que mon aventure n’était pas encore terminée. D’un côté, j’étais impatiente de vérifier par moi-même que mon frère allait bien, de l’autre, je brûlais d’envie de connaître le fin fond de l’histoire. J’étais jusqu’au cou dans quelque chose de spécial, mais dans quoi exactement ? J’ai hésité un instant, puis j’ai accepté de rester. Ça a été, je le soupçonne maintenant, la meilleure décision de ma vie.
– Tu as, j’imagine, remarqué les tableaux accrochés au mur, a repris le vieil homme. Sais-tu pourquoi ils sont là ?
J’avais à présent une petite idée sur la question – une idée complètement folle – mais j’ai préféré secouer la tête. L’homme s’est rapproché des tableaux et les a contemplés pensivement. Une force irrésistible m’a poussée à le rejoindre.
– Tous les magiciens illustres sur ces portraits ont été appelés dans mon échoppe quand ils avaient ton âge. Certains il y a dix ou vingt ans, d’autres, à l’époque du roi Arthur. Tous ont dû faire leurs preuves, et tous ont réussi. Normal. Ils étaient faits pour cela.
Ma petite idée folle se trouvait confirmée. Dans cette logique, cela expliquait pourquoi le fond étoilé était le même sur tous les tableaux. Cet enchanteur devait tenir boutique depuis des centaines d’années ! Si tel était le cas, il ne faisait vraiment pas son âge... La suite de son explication en revanche, m’est tombée dessus sans prévenir :
– À présent c’est à ton tour d’entrer dans la ronde. Tu es promise à de grandes choses. Tu deviendras la plus grande femme magicienne de tous les temps. Que dis-tu de ça ?
Ce que j’en disais ? Cela me laissait sans voix. Ce type m’avait impressionnée, et je voyais bien qu’il ne plaisantait pas. Mais quand même, la plus grande magicienne ? Et de tous les temps, par-dessus le marché ? Cela me semblait complètement irréel. Je me suis pincée violemment pour m’assurer que je ne rêvais pas. Aïe ! Non, j’étais décidément bien réveillée...
(Suite sur PAGE 14)