RÉCITS FANTASTIQUES GRATUITS

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Mon regard est tombé sur le jeu de sept familles abandonné sur ma table de nuit et j’ai su immédiatement comment j’allais procéder. J’ai désigné l’arbre porte-photos sur la commode derrière mon frère :

– Il doit y avoir ta tronche de cake dans le lot. Apporte-moi ta photo.

Mon frère s’est exécuté et, pendant qu’il avait le dos tourné, j’en ai profité pour m’emparer sournoisement d’une des cartes du jeu de sept familles. Le jeu avait pour thème nos cousins les singes. On y retrouvait réunis la plupart des primates à quatre pattes, depuis les sérieusement balaises comme les gorilles jusqu’aux demi-portions comme les macaques et les ouistitis.

Le hasard faisant bien les choses, la carte choisie était justement un petit macaque grimaçant à l’air ahuri : tout le portrait de mon frère. Je l’ai glissée rapidement dans la pochette secrète du portefeuille.

Mon frère a trouvé ce qu’il cherchait et il est revenu me voir, avec son petit air d’hypocrite habituel. Il n’a fait aucun commentaire, mais j’ai senti qu’au moindre faux pas de ma part, il allait éclater de rire et se livrer à son cirque habituel. Il ne perdait rien pour attendre...

Je lui ai retiré la photo des mains, j’ai pris une bonne inspiration et je me suis lancée :

– Ici, tu vois ton portrait, et là, je te présente un portefeuille tout à fait normal. Il y a juste une pochette à l’intérieur comme tu peux le v…

– Le coup du portefeuille ! s’est écrié mon frère. Ça va encore très mal finir !

Et voilà, c’était reparti pour un tour. J’ai senti cette bonne vieille moutarde me remonter au nez, mais j’ai soufflé profondément, et j’ai réussi à me maîtriser :

– Je disais donc, voici un portefeuille tout ce qu’il y de plus normal.

Bon d’accord. Je voyais ce que Barnabé voulait dire. Quelque temps auparavant, ce demeuré avait tenté de s’emparer de mon portefeuille (celui en carton bouilli) en criant à la supercherie. En voulant l’en empêcher, mon bras avait percuté les lunettes de grand-mère, envoyant le portefeuille virevolter à travers la table avant de s’écraser avec un grand Splash ! dans le potage. Tout le monde avait été éclaboussé, et je n’avais pas fait forte impression. Cette fois-ci cependant, il allait voir ce qu’il allait voir. J’ai continué :

– À présent, je glisse ton portrait dans la pochette. Je referme le portefeuille et je place ce foulard par-dessus. Voilà. Et maintenant, que la magie opère : Hocus Pocus, montre-nous sans astuce le vrai faciès de ce gugusse…

Mon intention, c’était bien sûr de faire apparaître la carte du jeu de sept familles dissimulée dans l’autre pochette, la secrète. Je l’aurais collée sous le nez de mon frère en m’exclamant triomphalement : Tiens ! Regarde-toi comme tu es réellement : un sale petit macaque insupportable ! Ça lui aurait rabattu son caquet, non ?

Je n’en ai jamais eu l’occasion. Il y a eu un Pouf, de la fumée, et Barnabé a brutalement disparu.

La fumée s’est dissipée, révélant à la place un véritable petit macaque dans un pyjama bien trop grand pour lui. Les chaussons et le casque qu’il portait étaient trop grands eux aussi. Il s’est secoué rageusement pour s’en débarrasser, puis il a sauté sur la penderie, avant de me fixer avec des yeux jaunes et mauvais et de s’écrier à pleins poumons :

TUBERCULE À RESSORT ! AMPHÉTAMINE À BIGOUDIS ! BICYCLETTE D’ARRIÈRE GRAND-PÈRE !

Il avait exactement les intonations de mon frère.

Puis, d’un bond, il est allé s’agripper à l’abat-jour de la lampe de plafond avant de reprendre :

PISTON ! PISTON ! GYROPHARE À PISTON !

Tout cela n’a pris qu’une poignée de secondes. Je suis d’abord restée sans réaction. Mes yeux voyaient, mais mon cerveau refusait d’assimiler. Sous mon crâne en ébullition, la petite voix de la raison protestait : Ce n’est que ton imagination, ressaisis-toi, voyons !

Mais la petite voix n’a rien trouvé à dire lorsque la créature a bondi sur les étagères murales, a fait main basse sur mes DVD de Sylvain Mirouf et a entrepris de me les jeter un par un à la tête.

Je n’ai pas pris le temps de réfléchir. J’ai attrapé la couette roulée au pied de mon lit, je l’ai ouverte et je l’ai lancée sur mon agresseur. Il a poussé un cri étouffé avant de dégringoler et de s’empêtrer dans la couverture. J’ai eu le réflexe de me laisser choir par-dessus, empêchant ainsi toute évasion, et j’ai laissé mon prisonnier s’égosiller et se débattre en vain. Au bout d’un moment il s’est calmé. J’ai pu alors tenter de remettre mes idées en place.

Il fallait se rendre à l’évidence : mon tour avait – une fois n’est pas coutume – réussi au-delà de toute espérance. Que je le veuille ou non, la créature qui s’agitait sous moi était bel et bien mon petit frère ; un petit frère transformé pour une raison mystérieuse en macaque, un macaque agité du bocal par-dessus le marché. Quelle autre explication avais-je à ma disposition ? Aucune. J’imaginais d’avance la tête de ma mère quand elle verrait le nouveau look de mon frère. Déjà qu’elle avait tendance à râler quand il oubliait de se peigner... Il fallait agir, et vite. Je n’allais pas passer la matinée de Noël allongée sur la descente de lit à cramponner ma couette. Il y avait forcément une solution. Mais laquelle ?

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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