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Il a tendu les deux bras, si brusquement que je n’ai pu réprimer un mouvement de recul. Il a exhibé ses deux mains, doigts bien écartés, comme s’il venait juste de se vernir les ongles.

– Choisis la bonne main. La main magique.

Il m’a adressé un sourire bienveillant et j’ai senti toute mon hostilité fondre comme neige au soleil. J’ai réalisé que toutes les épreuves, toutes les humiliations que j’avais endurées depuis le début de la matinée n’avaient finalement qu’un seul but : me conduire exactement là, dans cette boutique de magie, en face de ce vieil homme mystérieux. Plus question dans ces conditions de se sauver à toutes jambes en criant au fou. J’ai senti l’importance de relever le défi, et je me suis concentrée, concentrée, comme jamais je ne m’étais concentrée auparavant. Pour la seconde fois de la journée, la vérité m’est alors apparue dans une vision fulgurante, et j’ai su comment il fallait que je réagisse. J’ai levé lentement ma main droite, ma propre main, et j’ai répondu triomphalement :

– C’est celle-ci, la main magique.

Une expression rayonnante s’est épanouie sur le visage du vieil homme.

– Bien deviné ! C’est en toi-même qu’il faut avoir confiance ! Et maintenant, le moment de vérité...

Il s’est penché par-dessus son comptoir et, à travers les verres grossissants de ses lunettes rondes, m’a fixée droit dans les yeux, son grand nez crochu touchant presque le mien.

– Dis-moi : qu’as-tu appris exactement de ton esca-pade ?

Tout devenait limpide à présent, c’en était miraculeux, et c’est sans hésitation – ou presque – que j’ai répondu :

– Que je dois... d’abord compter sur ma propre imagination ?

Le vieil homme a battu des mains comme un enfant de quatre ans.

– Exactement ! Exactement ! Les astuces toutes faites de boîtes à magie, c’est bon pour ceux qui ne deviendront jamais des magiciens. Toi, c’est autre chose ! Ose ! Crée ! Invente ! Un jour, oui, un jour, tu étonneras le monde !

Il avait hurlé la fin de sa phrase, comme s’il jugeait absolument indispensable que tous les voisins profitent sans attendre de la bonne nouvelle. Ses yeux brillaient d’excitation. Je sentais qu’il fallait que je sois fière de moi, et d’ailleurs, tout au fond, je l’étais. En même temps, je continuais d’être tenaillée par le sens des réalités :

– Et pour mon frère ? ai-je insisté.

Le vieil homme a semblé surgir d’un rêve éveillé.

– Ah oui ! Ton frère ! Rien de plus simple. Tu as toutes les excuses de la maison pour les ennuis qu’il t’a créés, soit dit en passant. Mais avant toute chose, laisse-moi aller chercher mon grimoire. Il doit se trouver, si j’ai bonne mémoire, en haut de cette étagère-là...

Il a saisi une échelle coulissante, l’a positionnée en un point précis et a entrepris son ascension. C’est à ce moment-là que – OH, MON DIEU ! MON DIEU ! NON ! MON DIEU !!! – j’ai été le témoin d’une chose aussi spectaculaire qu’abominable. J’ai failli m’évanouir. Mon talon a heurté un obstacle et je me suis avachie entre les bras d’un fauteuil en bois qui par chance se trouvait juste derrière moi.

Figurez-vous que cet homme venait littéralement de se déchirer en deux, ses jambes restant fermement ancrées au sol tandis que la partie supérieure de son corps – le tronc et la tête – grimpait en haut de l’échelle en se hissant à la force des bras !

Le vieil homme – ou plutôt ce qu’il en restait – s’est emparé de ce qu’il avait nommé son grimoire (un vieux calepin à la couverture craquelée), l’a fourré sans se presser dans la poche de sa chemise et a redescendu son échelle. Les deux parties de son corps se sont recollées comme si de rien n’était. Il m’a expédié un clin d’œil appuyé.

– Au fait, as-tu deviné comment je m’appelais ? On m’a connu sous différents noms, celui de Merlin entre autres. Cela te dit quelque chose ?

Encore sous le choc, j’ai bredouillé que oui, bien sûr, le nom me disait quelque chose. Merlin. Tout le monde connaissait sa légende. Est-ce que c’était vraiment en face de lui que je me trouvais ?

L’enchanteur – car d’une façon ou d’une autre, c’en était forcément un – a semblé réfléchir, puis il a ajouté :

– Tant qu’à faire de la magie, autant porter un costume de scène. Regarde bien.

Il a fait le tour du comptoir et est allé décrocher une espèce de manchon (un cylindre de tissu maintenu ouvert par un cerceau à chaque bout, en fait) qu’il a posé sur le plancher. Il a sauté gaillardement à pieds joints dedans. Il a saisi le cerceau supérieur et l’a tiré vers le haut jusqu’à hauteur des épaules, dissimulant son corps au regard, puis il a laissé retomber le cerceau. L’opération complète n’a pas duré plus d’une seconde, mais quand le cerceau est retombé, l’enchanteur avait changé totalement d’habits, et portait à présent une magnifique robe de magicien rouge et or !

– À présent, a-t-il annoncé, occupons-nous de ton petit frère.

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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