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Il m’a fallu deux ou trois secondes pour m’habituer au blanc aveuglant qui recouvrait tout : il avait dû neiger toute la nuit. Les flocons continuaient de tourbillonner dans le vent en rangs serrés, transformant la rue en gigantesque bataille de polochons. Il n’y avait pas un chat. Ni piéton, ni voiture. Rien. Au-dessus de ma tête, les guirlandes électriques oscillaient sous les rafales. Dans quelle aventure étais-je en train de m’embarquer ? Je n’en savais trop rien, mais je n’avais pas vraiment le choix, il fallait tenter le coup… J’ai pris mon courage sous un bras, calé ma boîte de magie sous l’autre et, sac au dos, j’ai entrepris de remonter la rue d’un bon pas.

Mon plan d’action, c’était de tomber sur quelqu’un qui pourrait m’emmener jusqu’au quartier de la Chaudronne (où je n’avais jamais mis les pieds) et qui saurait où se trouvait précisément cette fameuse impasse, et le mieux c’était encore de demander à un chauffeur de taxi. La seule station que je connaissais se trouvait devant la gare, à deux bons kilomètres quand même. Malgré mon énergumène de frère qui ne cessait de faire des bonds dans son sac, je me résignais déjà à couvrir cette distance à pied. Les haut-parleurs de la ville diffusaient en boucle des mélodies de Noël. Cela m’aiderait à supporter le trajet...

J’ai dû déchanter rapidement. La neige était profonde et compacte, rendant la marche difficile. L’humidité pénétrait mes bottines et mon misérable gilet à franges était bien trop mince pour me tenir au chaud. J’ai réalisé que je claquais des dents. Si je ne voulais pas tomber raide congelée, il fallait que je trouve une solution, et vite.

Je me suis mise à l’abri sous un porche, j’ai posé mon cadeau de Noël sur les pavés et je l’ai débarrassé de son couvercle. Ce n’était peut-être pas la meilleure idée, mais il me fallait un moyen d’avancer plus rapidement, et si cette fichue boîte de magie avait été capable de changer mon frère en macaque, eh bien ! j’étais prête à accepter n’importe quel autre prodige qu’elle aurait en réserve. Je n’avais plus qu’à croiser les doigts – même s’ils commençaient à être sacrément engourdis – et à me mettre au travail.

Je n’ai pas eu à chercher longtemps. Le chapeau à claque m’a presque immédiatement sauté aux yeux. Vous savez ce que c’est ? C’est un chapeau haut de forme que l’on peut écraser : c’est plus facile pour le rangement. Dans la boîte, il ressemblait à une galette noire toute plate, une galette de feutre épais. Je l’ai saisi par le bord, et j’ai donné un bon coup de poignet : CLAC, le chapeau s’est instantanément déplié, retrouvant sa forme d’origine. Comment procéder à présent ? J’ai jeté par principe un œil sur la notice de présentation, mais comme je l’ai déjà dit, celle-ci ne fournissait aucune explication. Pour cet accessoire, elle se contentait d’indiquer :

7– Chapeau magique. Le magicien en tirera, sous les yeux ébahis de son auditoire, tout ce que bon lui semble : un couvercle de WC, un paratonnerre ou un capot de voiture par exemple.

Hum ! Cela n’était pas spécialement encourageant, mais il fallait se lancer. Je me suis campée fermement sur mes deux jambes, j’ai fait quelques passes magiques au-dessus de l’ouverture du chapeau et j’ai lancé d’une voix aussi assurée que possible :

– Chapi-chapo, joli chapeau, procure-moi illico un moyen de transport perso.

À ma grande déception, rien ne s’est passé. J’ai soudain réalisé qu’il me manquait quelque chose. J’ai farfouillé dans la boîte et j’en ai tiré l’accessoire incontournable de tout magicien qui se respecte : sa baguette magique. Elle était en bois brut. Comme tout le reste, elle avait un aspect authentique, presque intimidant. J’ai tapoté le bord du chapeau avec, j’ai répété ma formule, et cette fois-ci, pour la seconde fois depuis le début de la matinée l’incroyable s’est produit : une gerbe d’étincelles s’est échappée de l’ouverture et j’ai senti le chapeau peser tout à coup beaucoup plus lourd au bout de mon bras. J’ai plongé ma main à l’intérieur, et j’ai senti une surface caoutchouteuse et bombée sous mes doigts. J’ai tiré, et l’avant d’un pneu de vélo est apparu ! J’ai tiré encore, et toute la partie avant d’une véritable bicyclette est apparue !!! À ce moment-là du sortilège, le chapeau et son contenu sont devenus trop pesants et se sont écrasés lourdement sur le pavé, m’entraînant, mon bras et moi, dans leur chute. J’ai dû prendre le chapeau à deux mains et le tirer vers l’arrière pour dégager entièrement le vélo.

J’ai contemplé, incapable d’en croire mes yeux, le vélo qui gisait là, brillant comme un sou neuf sur le pavé. J’aurais dû être émerveillée, mais je n’étais que scandalisée, tellement scandalisée que j’ai tout d’abord décidé qu’il était hors de question que je grimpe sur un tel engin.

Pourquoi ? À cause de sa dégaine sortie tout droit d’un cartoon, voilà pourquoi. Je passe rapidement sur les couleurs criardes du cadre, sur la selle fluo en forme de siège pour bébé et sur les petits moulins à vent accrochés au guidon, pour en venir au principal : la roue arrière était toute gondolée. On aurait dit un parcours de montagnes russes. Et j’étais censée pédaler sur ça ? Quelqu’un, quelque part avait peut-être le sens de l’humour, mais pas moi. Pas dans la situation où je me trouvais de toute façon.

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(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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