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Et voilà comment un vieil homme barbu habillé de rouge a changé le cours de ma vie un beau matin du vingt-cinq décembre.

Maintenant que je sais où elle se trouve, je retourne souvent impasse du Double Nœud. Je n’ai jamais retrouvé la boutique de magie. À l’endroit où elle se trouvait, il y a un mur vide en briques, impénétrable, et couvert de vieilles affiches de cirque.

Je ne pense pas que je reverrai l’enchanteur avant longtemps. Seulement quand je serai prête, moi aussi, à enrichir son grimoire, j’imagine. En attendant, il faut que je me contente du dernier souvenir que j’en ai, quand il est sorti de son échoppe et m’a donné un châle pour que je n’attrape pas froid, et que, d’un claquement de doigts d’où ont jailli des étincelles, il a embrassé le fourneau de sa pipe en guise d’au revoir. Mais ça ne fait rien. D’une certaine façon, il est chaque jour présent, dans un coin de mon esprit, et tout au bout de mes dix doigts.

Après l’avoir quitté, tout s’est passé comme il l’avait promis. Mon frère avait retrouvé forme humaine et dormait paisiblement sur son lit. Je l’ai réveillé, il m’a dit qu’il venait de faire un drôle de rêve, mais à part ça, il ne se souvenait de rien, et c’était tout aussi bien. Mes parents ? Eh, bien, ils n’avaient rien remarqué, tout occupés qu’ils étaient par les préparatifs du traditionnel repas de fête de midi. Je ne me suis pas précipitée pour les mettre au courant, j’espère que vous comprendrez pourquoi.

L’absence de ma boîte de magie n’a jamais été remarquée. Elle ne m’avait été offerte par aucun membre de ma famille. Comment a-t-elle fini au pied de mon sapin ? La réponse me semble évidente...

Au réveillon du premier de l’an qui a suivi, j’ai impressionné pour la première fois mon assistance avec mon numéro de magie. Plutôt que d’exécuter les tours bêtement, j’avais commencé à leur injecter une petite dose d’imagination, et cela a fait des merveilles　: pas une seule barbe brûlée ni même une seule carafe renversée à déplorer. J’étais sur un petit nuage. Mon frère n’en revenait pas. Vous auriez dû voir sa tête quand tout le monde s’est levé pour me couvrir d’applaudissements !

Depuis ce fameux jour, je ne passe pas une journée sans m’entraîner. Je passe la plus grande partie de la nuit à rêver de mes tours, et quand le matin arrive, j’en ai inventé un nouveau ! Je peux maintenant, par exemple, faire danser un foulard dans les airs ou faire apparaître sous les yeux de mes spectateurs un bouquet de fleurs surgi de nulle part. Il y a un truc, bien sûr, mais vous n’y verriez que du feu.

Je multiplie autour de moi les occasions d’épater la galerie. À la maison, je suis devenue l’attraction principale de chaque réunion familiale. Aux anniversaires des copains, même son de cloche : on me voit comme le divertissement incontournable pour une fête réussie. J’ai même décroché très récemment ma première interview dans un journal local, après avoir défié en même temps six joueurs d’échecs du club de la ville et en avoir battu trois à plate couture. Pas mal, non ? Surtout pour quelqu’un qui, entre nous, connaît à peine les règles !

Seul mon frère Barnabé continue de bouder son plaisir. Peut-être a-t-il gardé un vague souvenir de son aventure dans la peau d’un macaque ? Peut-être m’en veut-il, finalement de l’avoir forcé à dégringoler de son sapin de Noël ? Je ne lui en veux pas. Je vois bien que, peu à peu, il se dégèle. Un de ces jours, quand il sera prêt, je lui poserai franchement la question : Barnabé, ça te dirait de devenir mon assistant ?

Je suis sûre qu’il dira oui.

En attendant, je peaufine mon arme maîtresse, celle que j’ai découverte lors de mon aventure avec l’enchanteur : une puissante, une formidable IMAGINATION. Grâce à elle, je finirai sur les planches des music-halls les plus prestigieux. Je le sais, je le sens, je suis heureuse.

Je vous donne dès aujourd’hui rendez-vous. Grâce à mon nom de scène – que pensez-vous de La Reine de Cœur, cela sonne bien, non ? – vous me reconnaîtrez à la télévision, et j’espère de tout cœur que, vous aussi, je saurai vous faire rêver.