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J’ai récupéré le chapeau et j’ai fait coup sur coup plusieurs nouvelles tentatives : peine perdue. Apparemment satisfait de son exploit précédent, il restait désespérément vide. Peut-être chaque accessoire de cette satanée boîte ne pouvait-il servir qu’une fois ? Dans le sac à dos que j’avais posé derrière moi, j’entendais mon frère qui ricanait doucement. Il avait vraiment le don de m’exaspérer, celui-là !
Le temps passait. Il fallait faire vite. Je me suis finalement résignée à accepter mon sort. J’ai rechargé mon frère sur mon dos, j’ai coincé la boîte de magie dans le panier du porte-bagages et j’ai enfourché ma nouvelle acquisition. Une bicyclette de cirque, c’était sans doute mieux que la marche à pied...
Hé bien non, ce n’était pas mieux en fin de compte : figurez-vous que l’esprit tordu qui avait conçu ce deux-roues l’avait également équipé d’une espèce de klaxon en forme de poire qui faisait PIN-PON et POUET à chacun de mes coups de pédale. Un coup de pédale, PIN-PON. Un nouveau coup de pédale, POUET. Entre ça, les petits moulins sur le guidon qui s’affolaient dans le vent, et moi qui jouais au yo-yo sur ma selle à cause de cette fichue roue arrière qui ne tournait pas rond, je vous laisse imaginer la scène. Pour couronner le tout, mon frère derrière moi avait décidé de changer de registre en accompagnant d’une voix de crécelle le Il Est Né Le Divin Enfant diffusé à ce moment-là dans les haut-parleurs. Il chantait horriblement faux. Seule consolation dans ce tableau, les rues restaient vides de tout curieux. C’était déjà ça.
La chance m’a définitivement lâchée quand j’ai tourné au coin de la dernière rue. Je suis tombée nez à nez avec deux policiers municipaux qui faisaient leur ronde. Leur fonction leur interdisait certainement d’éclater de rire en se roulant par terre, mais j’ai nettement senti leur regard me suivre et se poser sur mon dos tandis que je passais devant eux – PIN-PON, POUET –, droite comme un i et sérieuse comme un pape. Je me suis arrêtée un peu plus bas, en face de la gare. Je suis descendue de ma monture et je l’ai calée négligemment contre le trottoir, de l’air de celle qui a fait cela toute sa vie. Voyant cela, mes deux admirateurs en uniforme n’ont rien trouvé de mieux à faire que de rebrousser chemin et revenir à mon niveau.
Ils ont d’abord examiné ma bicyclette en silence. Les petits moulins sur mon guidon semblaient les intéresser particulièrement. Est-ce qu’il y avait une loi contre les petits moulins sur les guidons ? Je me posais la question. Puis l’un des policiers m’a demandé :
– Et alors jeune fille, que fait-on comme ça, toute seule dans les rues, un matin de Noël ?
J’allais ouvrir la bouche pour répondre, mais dans son sac, mon frère a été plus rapide :
ET TA SŒUR, ELLE EN PORTE DES BRETELLES ?
Les policiers se sont figés sur place et ont jeté un œil soupçonneux autour d’eux :
– C’est toi qui viens de dire ça, petite ?
Bien sûr que non, ce n’est pas moi ! C’est mon crétin de petit frère, là, derrière moi ! Un macaque stupide que j’ai été forcée de fourrer dans un sac pour qu’il se tienne tranquille ! Et tout ça, par la faute de la boîte de magie ! Vous comprenez, hein ? Vous comprenez ?
Voilà ce que, sur le coup de l’émotion, j’ai failli leur répondre. Puis j’ai réfléchi à deux fois, et j’ai fini par bafouiller :
– Oui. Enfin, non. Je veux dire : peut-être...
Les deux agents ont froncé les sourcils, visiblement peu impressionnés par la puissance de mon argumentation, puis leur regard s’est porté sur ce que, tant bien que mal, j’essayais de leur dissimuler. La question inévitable a jailli de leurs lèvres en même temps :
– Qu’est-ce que tu transportes dans ton sac à dos ?
Bien à contrecœur, j’ai décroché mon sac et je l’ai posé sur le guidon. J’étais morte de panique. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir inventer comme explication ? Pendant quelques secondes, mon cerveau a fonctionné totalement à vide, puis soudain, l’inspiration m’est venue :
– C’est... une peluche. Une peluche qui parle. Je l’ai eue pour Noël.
J’ai dénoué le haut de mon sac à dos, et la tête de mon frère a surgi, une tête toute échevelée avec un rictus bizarre accroché sous le museau et deux gros yeux globuleux qui se sont fixés immédiatement sur les deux agents. Il s’est raclé la gorge comme s’il allait prononcer un discours mais s’est finalement contenté d’un magistral :
PIROUETTE, CACAHUÈTE, TA GRAND-MÈRE EN TROTTINETTE !
– Heu ! C’est le modèle électronique dernier cri, ai-je trouvé urgent d’ajouter.
Les deux policiers ont poussé un soupir et m’ont contemplée d’un air vaguement compatissant. Je me doutais parfaitement de ce qu’ils devaient penser : quels parents sont assez tordus pour offrir à leur enfant non seulement une bicyclette complètement ridicule mais aussi et surtout la peluche la plus absurde qu’on n’ait jamais vue de mémoire de fonctionnaire ? L’un d’eux m’a posé une main sur l’épaule :
– Ne t’en fais pas, va. On n’a pas toujours le cadeau rêvé. Moi-même, je me souviens qu’une année...
LES LAVE-LINGE DUR’ PLUS LONG-TEMPS A-VEC CAAAL-GON !
a coupé mon frère (il chantait toujours aussi faux). Puis, hop-là, il a enchaîné sans transition :
AM-STRAM-GRAM, BOURRE ET BOURRE ET RAN-TAN-PLAN, LA POLICE EN SOUS-VÊTEM...
– Il faut que je m’en aille ! ai-je hurlé pour couvrir sa voix.
On venait d’avoir chaud, très chaud.
J’ai désigné l’autre côté de la rue d’un geste vague :
– Je veux dire, j’ai à faire là-bas. Bonne journée à vous, et surtout : joyeuses fêtes.
J’ai poussé la tête de mon frère à l’intérieur du sac, j’ai resserré précipitamment les galons, j’ai récupéré ma boîte dans le panier et j’ai tourné les talons sans demander mon reste. Mon vélo de cirque ? J’en faisais don à qui voulait bien le prendre. Cadeau de la maison ! Après avoir creusé un peu l’écart, à la hauteur de la passerelle qui enjambait la voie ferrée, j’ai jeté un œil par-dessus mon épaule : les deux agents n’avaient pas bougé d’un pouce. Raides comme des bonshommes de neige, ils continuaient, bouche bée, de me fixer.
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