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J’ai dégagé une main pour la plonger dans le fond de la boîte et relire fébrilement le parchemin. Comme pour les autres accessoires, on n’y disait pratiquement rien sur le portefeuille, si ce n’était qu’il permettrait de procéder à des substitutions renversantes. Je n’allais pas aller très loin avec ça...
Que se passerait-il, j’ai soudain réalisé, si je refaisais le tour à l’envers ? Est-ce que j’arriverais à déjouer l’enchantement ? J’ai décidé que ça ne coûtait rien d’essayer, et j’ai ouvert dans le portefeuille l’enveloppe qui contenait la carte du jeu de sept familles.
– Euh… cher public invisible, ai-je bredouillé (ben ouais, fallait bien que je m’adresse à quelqu’un), voici une photo d’un macaque. Je place le portefeuille sous heu... le coin de ma couette, et là, voyons : Hocus Pocus, redonne sans tiques ni puces sa vraie dégaine à ce minus.
Pour faire bonne mesure, j’ai effectué une passe magique, puis, récupérant le portefeuille, je l’ai retourné : le visage humain de mon frère était bien de retour, là, sur la photo dans l’enveloppe. Le cœur battant, j’ai tiré un coin de la couette, et la tête de mon prisonnier a surgi comme un diable hors de sa boîte. Horreur ! C’était toujours la même tête de macaque mais en plus ébouriffée encore !
SUPPOSITOIRE RADIOACTIF !
la tête a eu le temps de brailler, juste avant que je l’enterre de nouveau sous la couette.
Le tout, c’était de ne pas céder à la panique. J’ai passé rapidement en revue tous les autres accessoires, mais rien ne semblait convenir. Mes yeux se sont posés sur le couvercle de la boîte et, poussée par une intuition soudaine, je l’ai retournée : collée à l’intérieur, il y avait l’adresse d’une boutique dont je n’avais jamais entendu parler :
L’ÉCHOPPE DE LA BAGUETTE MAGIQUE
IMPASSE DU DOUBLE NŒUD
(QUARTIER DE LA CHAUDRONNE)
Juste en dessous, on lisait aussi, et c’était inespéré :
OUVERT LE JOUR DE NOËL
Quelqu’un dans ce magasin devait forcément être au courant de quelque chose… Après quelques instants d’indécision, j’ai conclu que la meilleure des choses à faire, c’était de filer voir ce quelqu’un, moi, ma boîte de magie et mon macaque de frère, et de déposer une réclamation en bonne et due forme. D’une main, j’ai attrapé le sac à dos qui me sert pour l’école et je l’ai secoué tête en bas pour le vider complètement. De l’autre, j’ai ensuite saisi mon frère sous la couette et je l’ai fourré dans le sac avant qu’il ait eu le temps de dire ouf. Il ne pesait plus bien lourd. Pas plus que mes affaires d’école en tout cas. C’était déjà ça.
La différence, c’est que mes affaires d’école ne se débattent généralement pas pour tenter de s’évader. Mon frère, en revanche, ne s’en privait pas, et j’ai dû m’y reprendre à trois fois pour attacher le cordon.
J’ai enfilé le premier gilet que j’ai trouvé (un marron avec des franges, ce n’était pas mon préféré, mais tant pis), j’ai hissé le sac sur mes épaules et je suis sortie de la chambre avec ma boîte de magie. Au passage, j’ai pris soin de fermer ma porte et de retourner le panneau qui disait : En conférence – Ne pas déranger. Par prudence, je suis allée aussi refermer la porte de Barnabé. Il était dix heures du matin : avec un peu de chance, mes parents nous laisseraient tranquilles jusqu’à l’heure du repas. Je me suis faufilée jusqu’à la porte d’entrée, j’ai chaussé en vitesse une paire de bottines et je me suis glissée discrètement à l’extérieur.
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